
INTRODUCTION
L’Europe doit attirer les talents étrangers, et pour cela, nous devons mettre de côté nos craintes.
Nela Riehl, Eurodéputé Volt
France, 2027-2035 – De la lutte contre l’immigration à l’émigration
Début 2027, le Rassemblement national axa sa campagne présidentielle sur le thème de l’immigration. Quelques puissances étrangères, favorables au RN, organisèrent des couloirs d’immigration à partir de pays d’Afrique francophone afin de submerger l’Hexagone, comme expérimenté aux frontières polonaises et baltes. En juin 2027, après la victoire du RN aux élections présidentielles et législatives, une politique stricte d’expulsion des migrants en situation irrégulière fut mise en place. Elle eut pour conséquence la fermeture d’entreprises les employant, mais aussi le développement de réseaux clandestins attirant celles et ceux qui voulaient échapper à l’expulsion.
En 2029, pour combattre la criminalité, le gouvernement décida de mettre en place une politique de lutte contre le communautarisme : tout étranger hors Union européenne aidant un migrant en situation irrégulière serait expulsé, tout binational aidant un migrant considéré comme « illégal » déchu de la nationalité puis expulsé. Cette politique permit d’expulser un grand nombre de personnes, mais provoqua une vague de départ sans précédent de binationaux et d’étrangers, surtout parmi les plus aisés.
De nombreuses entreprises n’arrivant toutefois pas à remplacer les départs, la crise du secteur de la santé s’aggrava dramatiquement. Le tourisme et l’agro-alimentaire en souffrirent également, à tel point que la France ne fut plus une destination prisée des investisseurs et des migrants économiques.
En 2032, la crise économique ne faiblissant pas en France, ceux qui en avaient les moyens commencèrent à émigrer en masse vers les pays francophones (Suisse, Canada), qui réagirent en instaurant une politique migratoire plus dure envers les Français. Au moment des élections présidentielles, soucieux d’accentuer sa rhétorique et continuant à attribuer les marasmes économiques de l’Hexagone aux vagues de migrants, le RN basa sa campagne de réélection sur un retour du contrôle des migrations des Européens. Une fois réélu, il commença à expulser les étrangers originaires de pays de l’Union européenne.
En 2033, à la suite de plusieurs sécheresses particulièrement graves, les gouvernements des pays de l’Afrique du Nord s’écroulèrent en raison de troubles civils devenus incontrôlables. Émeutes de l’eau et de la faim poussèrent les habitants de ces pays à fuir par la mer et se réfugier dans des pays plus stables. C’était sans compter sur les gardes-côtes des autocraties européennes qui avaient ordre de couler les bateaux.
En 2035, des « puissances protectrices », afin de résoudre leur problème démographique, requirent des pays européens protégés l’envoi d’une partie de leurs improductifs en âge de travailler dans le cadre d’un programme Travail contre Logement : ce programme permit d’envoyer tout Européen sans emploi dans la puissance étrangère protectrice, à charge pour elle de le loger et le nourrir en échange d’un travail non rémunéré.
Et si la catastrophe venait de notre fermeture ?
La France et l’Europe pourraient se rapprocher de cette dystopie un jour, à en juger par les récents accords migratoires, les discours alarmistes omniprésents dans le discours public et les politiques de fermeture mises en place à travers le continent. Pourtant, les migrations ne sont pas une originalité du 21e siècle, mais bien un phénomène-clé ayant accompagné l’humanité tout au long de son existence. Bien souvent, c’est précisément l’immigration qui a permis aux sociétés de prospérer. Et face à un débat public de plus en plus crispé et polarisé, aux faibles taux de natalité, aux multiples crises sociétales,
environnementales et humanitaires , l’Europe doit repenser en profondeur ses politiques migratoires.
En 2025, les partis nationalistes et souverainistes semblent avoir largement remporté la bataille culturelle et la bataille du récit. L’immigration clandestine est désormais un thème récurrent des débats publics : levier de peur, thème de prédilection des mouvements nationalistes… La couverture médiatique des migrations se concentre sur un angle sécuritaire, généralement à la faveur d’un fait divers montrant supposément la « violence » des migrants, plus que sur les succès de l’intégration et ses bénéfices sociaux, économiques et culturels. Pire encore, des acteurs géopolitiques exploitent l’incapacité de nos institutions à agir avec raison et prévoyance, instrumentalisant la question migratoire pour obtenir des concessions de la part des Européens.
Quant aux forces modérées, progressistes, favorables à une plus grande intégration européenne, peinent à faire émerger un narratif à la fois humaniste et pragmatique. La peur, l’intolérance et la réaction à ces dernières dictent les agendas politiques. Les lois sur l’immigration se succèdent mais ne permettent ni de réguler, ni d’accompagner les migrations, encore moins de garantir une intégration efficace. L’exagération les discours affaiblit notre cohésion sociale, nos économies, nos systèmes de protection sociale et notre prospérité.
Une étude de la réalité en 2025
Sans prétendre apporter une solution universelle et définitive à ces questions, nos travaux tentent d’avancer des réponses nouvelles. Le présent Livre blanc se propose de dresser un état des lieux du rapport de la France au phénomène migratoire (Chapitre 1. France : un état des lieux). Il explicite la vision particulière de Volt, axée sur une reconnaissance des difficultés rencontrées et sur nos valeurs proeuropéennes, progressistes et humanistes (Chapitre 2. Un nouveau récit migratoir). Il détaille nos propositions pour fonder les politiques migratoires de demain (Chapitre 3. Nos propositions). Pour les éclairer, il étudie enfin les politiques publiques entreprises par quelques-uns de nos voisins européens et leurs approches sous-jacentes (Chapitre 4. D’autres modèles).
Aborder les termes du sujet implique d’emblée de questionner un certain nombre de croyances, érigées comme des « vérités incontestables », à commencer par la première d’entre elles : l’idée que les migrations atteignent un niveau record. Car les faits racontent une autre histoire. Les niveaux actuels de migration internationale ne sont ni exceptionnellement élevés ni en augmentation : les migrations sont un fait quasiment stable depuis des décennies. En Europe et notamment en France, les niveaux actuels des soldes migratoires annuels ne sont aucunement exceptionnels.
Certes, la situation de l’Europe s’est fondamentalement transformée à travers les siècles, passant de principal réservoir de candidats aux départs, de 1500 à 1950, à celui de destination majeure pour les migrants. Entre 1848 et 1940, l’insatiable besoin de main-d’œuvre suscité par l’industrialisation et l’impérialisme des Européens aura déplacé quelque 150 millions de personnes, soit environ 9 % de la population mondiale de 1900.
À cette période, environ 55 à 58 millions d’Européens se rendaient aux Amériques, 48 à 52 millions d’Indiens et de Chinois du Sud migraient vers les colonies européennes d’Asie du Sud-Est, d’Afrique de l’Est et du Pacifique Sud, et 46 à 51 millions de Russes et de Chinois s’installaient en Mandchourie, en Sibérie, en Asie centrale et au Japon. Environ 48 millions d’Européens ont quitté le continent entre 1846 et 1924. Le colonialisme a également entraîné la plus grande migration forcée jamais enregistrée dans l’histoire, avec 12 millions d’Africains emmenés de force dans les Amériques.
Encore aujourd’hui, plus de 80 % de la population mondiale vit dans son pays d’origine, malgré d’énormes inégalités géographiques et économiques. Les mouvements de masse dûs à la guerre ou à des catastrophes naturelles ont même tendance à être à la fois temporaires et de courte durée.
De surcroît, selon les données compulsées par l’Université du Sussex et la Banque mondiale, il apparaît que les migrations internationales ne proviennent pas de pays à faible niveau de richesse, mais plutôt de régions bénéficiant d’un développement humain dynamique. La « tentation de l’émigration » ne diminue qu’une fois atteint un indice élevé de développement humain.
Le volume supposément « inédit » des migrations et la « pauvreté » des
pays d’origine ne constituent donc que deux parmi de nombreuses réalités acceptées comme intangibles, et pourtant très fragiles à l’épreuve des faits.
Un essai de définition des termes du sujet
Car chaque concept a son sens et sa connotation, souvent galvaudés dans le débat public, il nous a paru essentiel de tenter de cerner les principaux termes du sujet.
MIGRATION
La mobilité géographique est considérée comme une migration si elle implique un changement de résidence habituelle au-delà des frontières administratives de cette dernière. Une distinction essentielle est faite entre les migrations internes et les migrations internationales. Si l’on considère ces dernières, l’émigration consiste à quitter définitivement son pays ou lieu de résidence, l’immigration à s’installer dans un nouveau pays.
DURÉE DE LA MIGRATION
Un changement de résidence au-delà des frontières administratives pendant plus d’un an est considéré comme une migration, quel qu’en soit le motif principal.
MIGRANTS FORCÉS
Personnes se déplaçant principalement en raison de la violence ou de la persécution dans leur pays d’origine. Une distinction importante existe entre les demandeurs d’asile et les réfugiés. Un demandeur d’asile a demandé le statut de réfugié et attend une décision, tandis qu’un réfugié, selon la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés dite « de Genève », est une personne ayant fui son pays en raison d’une crainte fondée de persécution. Les personnes qui fuient mais restent dans leur pays sont connues sous le nom de « personnes déplacées ».
INTÉGRATION
La notion est polysémique et revêt des significations et interprétations influencées par les discours politiques et les courants de la sociologie. Elle peut désigner à la fois les politiques publiques consacrées à l’installation des personnes ayant immigré dans un pays, et les façons dont ces personnes peuvent participer dans la société, qu’il s’agisse de ses aspects professionnels, linguistiques ou encore civiques.
TRAFIC D’ÊTRES HUMAINS ET PASSAGES CLANDESTINS
Le trafic illicite et le passage de clandestins sont souvent confondus. Le passage implique que les migrants utilisent des intermédiaires pour franchir les frontières sans autorisation, souvent volontairement. Le trafic, quant à lui, implique une exploitation sévère de travailleurs vulnérables par la tromperie et la coercition et peut n’impliquer aucune migration.
MIGRATION IRRÉGULIÈRE OU CLANDESTINE
Franchissement non autorisé des frontières. L’arrivée spontanée de demandeurs d’asile aux frontières internationales n’est pas considérée comme « illégale » au sens de la Convention des Nations Unies sur les réfugiés la notion ouvre à la fois les migrants en situation irrégulière et les demandeurs d’asile. Une distinction essentielle est faite entre l’entrée illégale et le séjour illégal, ce dernier impliquant souvent des migrants entrés légalement mais ayant dépassé la durée de validité de leur titre de séjour. Les termes alternatifs tels que « irrégulier », « sans papiers » et « non autorisé » posent leurs propres problèmes mais sont utilisés pour éviter de qualifier les individus d’« illégaux ».