
FRANCE : UN ÉTAT DES LIEUX
Le camp d’accueil albanais Gjadër ressemblait à une ville fantôme.
Francesca Romana D’Antuono Volt Europa co-President
1.1 La France et les migrations
Dotée de larges façades maritimes, aux frontières parfois montagneuses mais géographiquement poreuses, souvent définies par des fleuves et des massifs bas plutôt que par des éléments infranchissables, la France est l’une des plus anciennes terres d’immigration en Europe.
Ayant effectué sa transition démographique très tôt, la France est devenue une destination à une époque où d’autres pays européens étaient encore des terres d’émigration. Les opportunités de travail étaient abondantes sur le territoire français du fait d’un déficit structurel de travailleurs agricoles et non qualifiés. Les contrôles à l’immigration étaient quasiment inexistants jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, lorsque la France a initié ses premières politiques de recrutement de travailleurs étrangers. La création dans les années 1910 et 1920 d’une pluralité de services ministériels et structures privées, comme la Société générale d’immigration agricole et industrielle, fera de la France le premier pays européen d’immigration dans la première moitié du 20e siècle. Quelques exemples :
Confrontés à la pauvreté et au chômage, près de 2 millions d’Italiens ont migré en France entre 1873 et 1914, travaillant comme saisonniers et dans des professions manuelles. Plus de 400 000 d’entre eux se sont installés définitivement. Aujourd’hui, 4 à 5 millions de citoyens français ont des origines italiennes.
La France est parfois considérée en Pologne comme une seconde patrie spirituelle, une partie de l’élite intellectuelle polonaise choisissant de vivre en France. L’essor de l’industrie du charbon et de l’extraction minière dans le nord de la France au début du 20e siècle a conduit à une vague massive de migrations en provenance de Pologne, suivie d’un exode de la population paysanne polonaise pendant l’entre-deux-guerres après l’indépendance de la Pologne.
Les Portugais ont commencé à migrer en France dans les années 1960, poussés par le chômage élevé et la pauvreté au Portugal. La migration s’est accélérée autour de la Révolution portugaise de 1974, de nombreux réfugiés politiques fuyant le pays ; selon l’historien Victor Pereira, jusqu’à 750 000 Portugais ont trouvé du travail dans les usines françaises. En France, la diaspora portugaise reste la plus grande communauté étrangère de tous les États membres de
l’Union européenne.
Les migrations continueront de façonner notre société. Les dernières années ont vu une affluence de migrants économiques d’Europe centrale et orientale, principalement de Pologne et de Roumanie mais également d’Asie du sud et d’Afrique. Le narratif de formations populistes et nationalistes oppose de ce fait deux types de migrations, les migrations d’ « antan », c’est-à-dire de populations d’ascendance européennes, à celles d’aujourd’hui, venues d’autres continents, avec des caractéristiques prêtées à chaque phase. Et en grande partie inopérantes.
Succès économique rendu possible par les Migrations
Au début des années 1890, la population étrangère a pour la première fois dépassé le million de personnes, soit 3 % de la population. Les syndicats ont joué un rôle d’intégration ayant permis de mettre fin – provisoirement – aux récurrentes manifestations d’hostilité envers les travailleurs étrangers. Dans le même temps, la politique d’immigration familiale a facilité la naturalisation et a considérablement façonnée la société française dans certaines régions.
Après la Première Guerre mondiale, la demande dans les usines a poussé les gouvernements successifs à recruter pour la première fois des travailleurs étrangers dans les pays du Maghreb. Après la Seconde Guerre mondiale, la période des « Trente Glorieuses » a été caractérisée non seulement par le plan Marshall et la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, mais aussi par un flux continu de migrations qui ont contribué à soutenir la croissance économique du pays jusqu’au milieu des années 1970 et la première crise pétrolière. Le démographe Georges Mauco considérait en 1977 que l’équivalent d’un logement sur deux, de 90 % des autoroutes et d’une machine sur sept construite en France ont été réalisés par des travailleurs immigrés.
Après les années 1970 cependant, la tendance au recrutement international est jugulée par les difficultés économiques et l’émergence d’un chômage structurel de masse dans les années 1980. L’aide au retour – devenue plus tard l’aide à la réinsertion dans le pays d’origine – s’ajoute aux missions de l’Office national d’immigration créé en 1945. Selon les chiffres de 2022, les migrants représentent plus de 12,2 % de notre main-d’œuvre totale. Qu’il s’agisse des aides à domicile ou des assistantes maternelles, de la livraison, la sécurité ou encore du transport, les migrants peu qualifiés complètent notre main-d’œuvre, tandis que la migration qualifiée assure la compétitivité de notre économie. À mesure que nous vieillissons, notre population active est destinée à décliner de manière significative. Nous serons confrontés au défi complexe de préserver l’activité économique et la richesse tout en prenant soin d’une population beaucoup plus âgée. Pour ce faire, la France – et l’Europe – de demain dépend fortement de l’immigration.
Un solde migratoire relativement stable
Depuis 1950, l’immigration nette en France a évolué de manière assez stable, à la hausse comme à la baisse. Il s’agit en grande majorité de migrations légales, où le regroupement familial occupe une place de plus en plus importante. Les règles migratoires s’appliquent à toutes et tous de façon uniforme, à l’exception des ressortissants de l’Union européenne et de pays avec lesquels un régime spécifique a été conclu par accord bilatéral, comme avec l’Algérie et la Tunisie. La politique migratoire reste basée sur le principe d’un flux contrôlé, frappé par des assouplissements ou durcissements selon la conjoncture ou les circonstances.
1.2 De la « richesse » à la « menace » – cinquante Nuances de récit
Les migrations ont eu une influence durable sur le développement de la société française. La crispation du débat public est d’autant plus surprenante que la métropole est in fine peu concernée par les mouvements migratoires d’aujourd’hui : la France métropolitaine n’est ni l’Italie – laissée à elle-même au cours des vingt dernières années pour gérer les migrants traversant la Méditerranée –, ni l’Allemagne, qui a accueilli près d’un million de réfugiés en provenance
de Syrie.
Les mérites de cultiver la peur des migrations
Il est nécessaire de mettre le phénomène en perspective : les Européens bénéficient des quatre libertés du marché unique européen, y compris la liberté de se déplacer librement et de s’installer partout en Europe. Actuellement, 3,3 % de la population européenne, soit
environ 15 millions de citoyens, sont considérés comme des citoyens européens mobiles – des citoyens migrant pour vivre et travailler dans un autre État membre. En 2023, 7 millions d’immigrés hors-UE vivaient en Europe, représentant 5,8 % de la population totale. Enfin, l’Europe compte environ 2,8 millions de réfugiés, soit 0,6 % de sa population. Les proportions en France sont similaires : 1,53 million de citoyens européens mobiles, 5,2 millions d’immigrés non-européens et 500 000 réfugiés et demandeurs d’asile.
L’immigration est considérée comme responsable de nombreux maux frappant la France : insécurité, concurrence sur le marché du travail et menace terroriste en premier lieu. Ces trois motifs ont fait l’objet de plusieurs études réfutant ce lien de cause à effet direct. Le débat porte également sur la notion même de ce qu’est être français : les expressions français de papier ou Grand Remplacement renvoient à une opposition entre les vrais et les faux français, entre ceux dont la présence sur le territoire est intrinsèquement légitime de par leur ascendance et les envahisseurs. Une telle rhétorique, en plus d’être infondée, est également dangereuse pour la cohésion nationale.
Chiffres, acronymes et manipulations dans le débat public
L’OQTF, totem du « laxisme » français ? Les obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont au cœur des politiques migratoires françaises et du débat public actuel. Toute personne se voyant refuser le statut de réfugié ou dont le titre de séjour a expiré et n’est pas renouvelé peut se voir délivrer une ou plusieurs OQTF dans le temps. Cette décision administrative est devenue ces dernières années un symbole de fermeté migratoire, visant à éloigner du territoire les étrangers en situation irrégulière.
Il est impossible de savoir exactement combien de personnes sous OQTF résident actuellement en France, en raison de l’absence de chiffres officiels sur les sorties volontaires du territoire et les individus sous le coup de plusieurs OQTF. Les préfectures ont délivré 137 730 OQTF en 2023, un chiffre en constante augmentation depuis 2015 – à l’exception de 2020. Dans le même temps, leur taux d’exécution est passé de 17 % en 2015 à 7 % en 2023. Outre l’engorgement des préfectures et tribunaux administratifs, les goulots d’étranglement présents au niveau des laissez-passer consulaires restent majeurs – les pays d’origine refusant d’accueillir de nouveau leurs ressortissants ou les liens diplomatiques ayant été rompus. Paris a régulièrement tenté de faire pression sur les pays du Maghreb en réduisant le nombre de visas octroyés, souvent sans succès. Cette situation ralentit également le traitement du renouvellement de titres de séjour, ce qui complique la vie des résidents étrangers, certains basculant dans l’irrégularité du jour au lendemain.
Les OQTF deviennent de plus en plus synonymes de délinquance ou danger, avec comme dernier exemple en date le rapprochement opéré au lendemain de l’attentat de Mulhouse. Les chiffres ne corroborent pas cette affirmation : seuls 7 % des OQTF délivrées en 2022 l’ont été pour motif de « menace à l’ordre public », motif qui ne requiert pas de décision de justice a priori. Il est donc manifestement impossible pour l’État de suivre le rythme de ses propres décisions, ce qui rend d’autant plus nécessaire la refonte complète du dispositif et ses finalités. Constat d’autant plus vrai lorsque l’on compare la France à ses voisins européens : l’hexagone est champion d’Europe de la délivrance des OQTF, loin devant l’Allemagne ou l’Italie.
Les associations d’aide aux migrants, acteurs publics ou complices : peu après sa nomination à la place Beauvau, Bruno Retailleau fustigeait les associations intervenant dans les Centres français de rétention administrative (CRA), chargées d’informer, soutenir et accompagner les étrangers retenus. Ces associations sont ainsi accusées de favoriser les recours contre les décisions administratives à leur encontre, comme les OQTF. Le rôle de vigie de ces associations est remis en cause depuis plusieurs décennies, alors qu’elles sont précisément choisies dans le cadre d’un marché public pour pouvoir agir dans les CRA, et permettent de faciliter l’action des pouvoirs publics et le bon fonctionnement de l’accueil et du traitement des personnes en situation irrégulière. Leurs critiques rejoignent celles déjà formulées à l’encontre des autorités françaises par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) sur les prisons.
L’AME – le faux débat : l’Aide médicale d’État vise à fournir une aide médicale d’urgence aux étrangers en situation irrégulière sur le territoire français. L’AME prend leurs soins en charge intégralement dans la limite des tarifs appliqués par la Sécurité sociale. Elle n’est pas universelle : les demandeurs d’asile par exemple sont couverts par un dispositif spécifique. Pour qu’un étranger bénéficie de l’AME, il doit justifier d’au moins trois mois de résidence, ne pas avoir de titre de séjour de plus de trois mois et ne pas percevoir de ressources dépassant un certain plafond.
On comptait 466 000 bénéficiaires de l’AME fin 2023, ce qui regroupe les assurés et les ayants droit que sont les enfants – mineurs ou non – et conjoints des assurés. Son coût et son supposé effet « d’aimant à migrants » sont au cœur du débat public. Le rapport Stefanini – Evin permet pourtant d’en relativiser l’importance :
L’AME a coûté 968 millions d’euros en 2022, représentant 0,41 % des dépenses de santé publique cette même année. L’augmentation des dépenses liées à l’AME ces dernières années est liée à celle du nombre de bénéficiaires, avec une dépense moyenne par bénéficiaire restant stable.
Environ 50 % des étrangers éligibles ne demandent pas l’AME selon l’IRDES. La comparaison avec les voisins d’Europe occidentale ne permet pas de distinguer la France par sa générosité, mais plutôt par la transparence de son système.
Une analyse en profondeur de ce dispositif permet donc de montrer la profonde déconnexion entre la réalité des chiffres et l’instrumentalisation qui en est faite.
Un fardeau pour nos systèmes sociaux ?
Selon certains discours, les personnes migrant en France décideraient de ne pas travailler et se rendraient dans l’Hexagone à seules fins de « profiter » de l’État-providence. Les demandeurs d’asile ne sont pourtant pas autorisés à travailler et restent bloqués dans l’État membre de l’UE traitant leur demande d’asile, alors qu’ils pourraient bénéficier d’une opportunité d’emploi dans un autre pays. Les qualifications ne sont pas facilement reconnues. Le montant maximal des frais de scolarité pour les étudiants non européens a été multiplié par dix en France en 2009. La menace du dumping est brandie, malgré le fait que le salaire minimum et le nombre d’heures de travail par semaine sont fixés par la loi. Le travail « au noir » est largement utilisé pour contourner ces législations, et demeure sous-considéré dans le débat public.
De la vente au détail à la restauration en passant par le tourisme et l’artisanat, nos marchés du travail connaissent des pénuries récurrentes de professions non qualifiées et qualifiées. Les recherches montrent que l’insertion des migrants sur le marché du travail a pourtant des effets positifs à court et à long terme sur le PIB, et même sur le taux de chômage de la population autochtone. Les personnes immigrées et leurs descendants sont toutefois davantage confrontés à des discriminations, dans une proportion quasiment stable sur les quinze dernières années. D’après une étude du Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN) publiée en 2023, 91% des personnes noires disent être victimes de discrimination raciale dans leur vie de tous les jours. Ces traitements sont manifestes en ce qui concerne l’accès au logement, au marché de l’emploi et la santé. Les contrôles au faciès de la part des forces de l’ordre sont un sujet emblématique du rapport de la puissance publique à l’immigration.
1.3 De fermeture en fermeture : l’Europe et la France en 2025
Entre perception de l’immigration et intégration, un constat mitigé
Le sujet de l’immigration a connu une réapparition spectaculaire dans le débat public à la faveur des grands mouvements de réfugiés de 2015, l’exploitation massive de la « route des Balkans » et l’ouverture par l’Allemagne de l’asile à tous les ressortissants syriens la même année. Après avoir connu un certain affaissement à la fin des années 2010, notamment dû à la pandémie de Covid, le sujet a finalement retrouvé sa place dans l’espace politique et public.
Un sondage Ipsos réalisé durant la campagne présidentielle de 2022 indiquait que 60 % des Français approuveraient l’idée selon laquelle « il y a trop d’étrangers aujourd’hui en France », avec de fortes disparités d’opinion selon les sujets : intégration, regroupement familial, radicalisation, enrichissement culturel… autant d’occasions pour les forces politiques de se prévaloir de « la volonté des Français ». En 2023, selon un sondage Ifop, 82 % des personnes interrogées estimaient que l’immigration est un sujet dont il est impossible de parler sereinement en France. En octobre 2024, pourtant, un autre sondage Ipsos plaçait l’immigration à la sixième place des préoccupations nationales, derrière la santé ou le pouvoir d’achat, ce qui symbolise le rôle prépondérant, voire disproportionné, du thème par rapport à son importance ressentie.
Frénésie législative
En France, Emmanuel Macron promettait durant la campagne présidentielle de 2022 « une grande loi sur l’immigration ». Le projet de loi « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration », sera finalement présenté en 2023 au Conseil des ministres avant de connaître un parcours législatif chaotique. Le projet initial prévoyait notamment l’expérimentation d’une carte de séjour d’un an « travail dans des métiers en tension », la possibilité de travailler immédiatement pour les demandeurs d’asile originaires des pays les plus à risques et le durcissement de l’exigence de connaissance du français pour un certain nombre de titres de séjour. Jugé trop restrictif par l’opposition de gauche et laxiste par la droite et l’extrême-droite, le projet sera largement remanié par le Sénat, qui cristallisera le débat autour de l’Aide médicale d’État, l’instauration de quotas fixés par le Parlement et les allocations familiales et sociales accordées aux personnes migrantes. C’est finalement avec un ultime compromis donnant des gages au Rassemblement national que la loi sera adoptée.
Quelques mois plus tard, le Pacte européen sur la migration et l’asile termine son parcours législatif de plusieurs années. Le texte, qui se veut une large réforme de la politique migratoire européenne, ambitionne un meilleur contrôle aux frontières et une gestion plus efficace de l’asile, aux côtés d’une augmentation du budget européen de 2 milliards d’euros sur la période 2021-2027. Filtrage des personnes aux frontières européennes en vertu du principe de la « fiction juridique de non-entrée »,, installation de centres de rétention, embryon de mécanisme de solidarité concernant 30 000 demandeurs d’asile par an, harmonisation des règles européennes, règlement « crise » ouvrant la porte à des dérogations : le texte offre un premier pas en faveur d’une politique migratoire européenne, mais reste critiqué de tous les côtés de l’échiquier politique. Plusieurs de ses dispositions pourraient par ailleurs être invalidées ou annulées dans le cadre d’actions en justice.
Frontex au cœur du débat : Frontex, agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, a considérablement étendu ses opérations. Elle a coordonné de nombreuses opérations conjointes, déployé des milliers de gardes-frontières et secouru des dizaines de milliers de personnes en mer. Frontex a également renforcé ses partenariats avec pays tiers et organisations internationales pour lutter contre la traite des êtres humains et d’autres crimes transfrontaliers. Des allégations de violations des droits humains et de manque de transparence ont cependant entaché sa réputation. L’agence a été accusée de ne pas prévenir et de ne pas traiter les refoulements illégaux de migrants par les autorités nationales. Frontex s’est depuis engagée à renforcer son bureau des droits fondamentaux et à améliorer ses mécanismes de contrôle.
Lors des élections européennes de 2024, le Rassemblement national surprendra les observateurs en investissant Fabrice Leggeri, ancien directeur de Frontex, en troisième position sur sa liste électorale. Ce dernier indiquera au Journal du Dimanche vouloir « combattre la submersion migratoire, que la Commission européenne et les eurocrates ne considèrent pas comme un problème, mais plutôt comme un projet ».
De Tunis à Tirana
Le début des années 2020 a également connu la multiplication d’accords migratoires avec des États riverains de l’Union européenne, permettant de leur « déléguer » la gestion d’une partie de la politique migratoire européenne. Ainsi, au printemps 2023, l’Union signait avec la Tunisie un accord permettant de lui verser des dizaines de millions d’euros afin de soutenir son économie, mais également de lui permettre de faire diminuer les traversées clandestines sur la Méditerranée en provenance de ses propres côtes. Au printemps 2024, c’est avec l’Egypte qu’un partenariat similaire, d’un montant de 7,4 milliards d’euros dont 200 millions d’euros sur le dossier migratoire, a été signé pour un contrôle plus efficace des frontières.
Plus proche de la France, l’Italie a conclu un accord très médiatisé avec l’Albanie afin que celle-ci accueille des personnes arrivant dans les eaux territoriales italiennes depuis les côtes africaines, avec à la clé un financement de 830 millions d’euros sur cinq ans. L’accord prévoit notamment le transfert de ces personnes – des hommes adultes « non vulnérables », sans famille et sans papiers, venant d’un pays tiers considéré comme sûr – directement vers l’Albanie, où l’Italie dispose d’une « enclave juridictionnelle ». Deux centres d’accueil ont été construits en conséquence à Shëngjin et Gjadër, pour un coût estimé à 60 millions d’euros. Néanmoins, ils sont restés vides et la majorité de leurs employés ont été remerciés, l’envoi de personnes depuis l’Italie ayant été annulé en raison de recours devant les justices italienne et européenne.
Ces accords n’ont pas empêché de graves violations des droits humains, notamment envers les populations migrantes. En Turquie, qui a reçu de l’UE quasiment dix milliards d’euros d’aide pour l’accueil de réfugiés syriens, des enquêtes ont prouvé que les fonds européens avaient été utilisés pour financer des centres spécialisés dans des retours forcées vers la Syrie. Le Guardian et d’autres médias indépendants ont révélé qu’en Tunisie, de très nombreuses personnes migrantes étaient l’objet de graves violations de leurs droits humains de la part des forces de sécurité tunisiennes : violences, y compris sexuelles, secours en mer avec usage disproportionné de la force, refoulement vers le désert et la frontière avec la Libye et l’Algérie…
D’élection en élection, de l’AfD à la Syrie
2024 s’est conclue comme une année noire. En septembre, au lendemain d’élections régionales où le parti extrémiste AfD s’impose comme vainqueur, le gouvernement allemand décide de systématiser les contrôles aux frontières avec tous ses voisins, invoquant une situation d’urgence. Et d’utiliser une disposition du Code Schengen permettant de rétablir unilatéralement le contrôle à ses frontières intérieures… disposition introduite en 2011 à la demande de Nicolas Sarkozy durant les printemps arabes. Aux Pays-Bas, le Parti pour la liberté (PVV), premier parti de la coalition de droite radicale au pouvoir, fait adopter par le Parlement une motion visant à « conserver des informations sur les normes et valeurs culturelles et religieuses des Néerlandais issus de l’immigration », afin notamment d’ « offrir un aperçu sur l’intégration culturelle ».
Quelques mois plus tard, le matin du 8 décembre, le président de la République arabe syrienne, Bachar el-Assad, fuit Damas en direction de Moscou, tandis qu’un soulèvement général, conduit par Hayat Tahrir al-Cham, renverse le régime baasiste. Dès le lendemain, alors que le pays est en pleine incertitude, plusieurs États européens dont l’Allemagne annoncent la suspension de l’examen de toutes les demandes d’asile déposées par des ressortissants syriens, la France indiquant « travailler » sur cette option.
L’Europe, petit à petit, referme ses portes. De son côté, la France est confrontée à deux drames se déroulant des deux côtés de la planète. À sa frontière avec le Royaume-Uni, le même mois, des centaines de migrants sont sauvés de la noyade et secourus par les autorités dans les eaux glacées de la Manche. Dans le canal du Mozambique, le cyclone Chido frappe Mayotte de plein fouet en dévastant des quartiers entiers. De nombreuses personnes refusent de bénéficier d’un hébergement d’urgence, car arrivées illégalement sur l’île, elles craignent que les autorités n’en profitent pour les expulser. Aux premières déclarations gouvernementales de solidarité et d’humanité succèdent rapidement les mises en relation avec les enjeux migratoires. En visite sur l’île fin décembre, le président français Emmanuel Macron liait directement les difficultés rencontrées par les Mahorais à l’immigration irrégulière, qu’il qualifiait de « pression migratoire qui fait exploser tous les services ». Avant de promettre de renvoyer les personnes entrées illégalement sur l’archipel d’une façon « plus efficace ».
Quel agenda européen pour demain ?
La France travaille déjà à sa nouvelle loi immigration, alors que les décrets d’application de la précédente sont à peine publiés. Si cette initiative venait à son terme malgré l’instabilité politique désormais chronique de la France, elle représenterait le 119ème texte législatif adopté en la matière depuis 1945.
Le 1er décembre, l’Autrichien Magnus Brunner devenait commissaire européen en charge des Affaires intérieures. Parmi ses missions : la conception d’une stratégie quinquennale de gestion des l’asile et de migrations européennes, une nouvelle approche sur le retour des personnes en situation irrégulière, la lutte contre l’exploitation et le trafic des migrants ou encore « l’Union des compétences » pour mieux accueillir les travailleurs et travailleuses qualifiés venus de pays tiers. Si la lettre de mission adressée par Ursula von der Leyen mentionnait la simple mise en oeuvre du Pacte Asile et Migration – prévue à partir de 2026 –, l’idée d’une révision du Pacte est d’ores et déjà présentée comme cruciale par l’extrême droite et la droite eurosceptique européennes, dont le poids au Parlement européen n’aura jamais été aussi important. Le projet d’une révision – et d’un durcissement – de la directive sur les retours pourrait également figurer à l’agenda législatif des prochains mois, après des années de négociations infructueuses.