Politique européenne de défense : à quand l'autonomie stratégique ?
En privilégiant les agendas nationaux et la coopération bilatérale au détriment d'une réelle intégration européenne, la France risque d'éloigner ses partenaires et de perdre l'Europe comme seul levier dont nous disposerons au niveau international.
Ce 10 mars, le président Macron accueillera son homologue britannique Rishi Sunak pour un nouveau sommet franco-britannique. Il s'agit d'un redémarrage, après un hiatus de quatre ans dû au Brexit et à de nombreux désaccords allant des conflits sur la pêche à l'affaire de l’alliance militaire Aukus. Un Premier ministre britannique pragmatique offre l'occasion de resserrer les liens au niveau bilatéral. Mais si l'abandon récent de l'autonomie stratégique de l'Europe par le président Macron est un signe avant-coureur, la réunion risque de diluer davantage le projet européen et de révéler les failles et les faiblesses qui caractérisent sa politique étrangère pour la France ainsi que l'Union Européenne.
Le kaléidoscope des traités bilatéraux
Il ne faut pas s'étonner si un accord plus large est signé entre les deux pays, accompagné de la rédaction d'un nouveau clone du traité de l'Élysée afin de compléter la collection de traités similaires que la France entretient avec ses voisins l'Italie (traité du Quirinal) et l'Espagne (traité de Barcelone). Avec le Royaume-Uni qui joue au niveau européen - ayant déjà invité à rejoindre la coopération structurée permanente (PESCO) en matière de défense et cherchant à participer au programme de financement européen Horizon 2027 - on peut se demander ce qu'il reste de la vision européenne du Président Macron, alors que ce dernier semble vouloir plutôt compléter un kaléidoscope de traités bilatéraux, accompagné d’une communauté politique rassemblant des États membres et non membres de l’Union européenne.
La fin de l'autonomie et de l’armée européenne ?
Pire encore, lors de sa récente rencontre avec le futur président tchèque et ancien président du Comité militaire de l'OTAN, Petr Pavel, le Président Macron s'est éloigné de sa position de longue date en faveur de l'autonomie stratégique, choisissant plutôt de favoriser les engagements en matière de défense au sein du pilier européen de l'OTAN. L'affirmation de M. Pavel selon laquelle l'Europe n'a pas d’ « éléments stratégiques » dans des domaines tels que la logistique ou des communications – conditions préalables pour pouvoir mener des opérations militaires à grande échelle – est au mieux surprenante en considérant par exemple notre réseau ferroviaire ou Eutelsat. Cependant, elle reste mesurée par rapport au changement de position du président Macron, pourtant un ardent défenseur d'une armée européenne depuis son entrée en fonction en 2017.
C'est également un pari que de spéculer sur la stabilité à long terme des relations transatlantiques, à seulement deux ans du départ – et peut-être à deux ans de la réélection – d'un président américain qui a remis en question l’existence même de l'Union européenne et les fondamentaux de l’OTAN, soutenu le Brexit et a quitté des traités internationaux majeurs. De plus, qu'il s'agisse de la loi américaine sur la réduction de l'inflation (IRA) incitant l'industrie européenne à se délocaliser aux États-Unis, ou du partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) qui tente de saper notre RGPD, nous devons être conscients que si les États-Unis et l'Europe sont unis dans des causes communes, nous sommes également des concurrents économiques. L'Europe doit être un allié et un partenaire, mais nous devons éviter de tomber dans les dépendances technologiques et géopolitiques vers lesquelles notre gouvernement semble nous conduire.
Que deviennent notre vision et notre ambition européennes ?
La guerre en Ukraine a mis à l'épreuve la définition de l'autonomie stratégique du président Macron en Europe. Celle-ci a inévitablement échoué. Le « fonds européen de défense » est doté d'un budget de huit milliards d'euros pour la période 2020-2027 afin de financer les écarts technologiques et l'interopérabilité entre les différents systèmes de défense des États membres de l'UE, tandis que la France seule investira 460 milliards d'euros dans son armée pour la période 2024-2030. Une armée européenne consiste à davantage que de coudre des drapeaux européens sur des uniformes. L'autonomie est plus coûteuse que les dépendances. Tant que la France – avec les autres États membres de l'UE – ne sera pas disposée à prendre des engagements conséquent, en matière d'investissements dans les capacités européennes d'interopérabilité et de coopération, de procédures de prise de décision, une armée européenne, tout comme une Europe fédérale, restera une chimère et une promesse électorale vide.
Le monde change rapidement. En privilégiant les agendas nationaux et la coopération bilatérale au détriment d'une réelle intégration européenne, la France risque d'éloigner ses partenaires et de perdre l'Europe comme seul levier dont nous disposerons au niveau international. Nous devrions éviter les erreurs faites par le Royaume-Uni, qui a cru que sa propre histoire et son hubris compteraient dans un monde où l'Europe peut être un acteur parmi d'autres. Dans le cas contraire, aucun d'entre nous ne jouera un rôle significatif. Le prochain sommet franco-britannique sera peut-être l'occasion pour le Premier ministre britannique de conseiller à la France de ne pas gâcher sa chance de contribuer au projet européen, comme l'a fait le Royaume-Uni.
Si vous pensez également que l'Europe peut être beaucoup plus ambitieuse et qu'elle doit faire beaucoup plus…