Directive sur les travailleurs des plateformes : un pas insuffisant dans la bonne direction

La directive européenne visant à encadrer les plateformes de la gig economy – les intermédiaires entre des clients et des travailleurs indépendants tels que Uber, Fiverr ou encore Deliveroo – a été votée début mars par le Conseil européen à la majorité qualifiée.

3 mai 2024

Volt salue l'existence et les avancées de cette directive : l'économie à la demande nécessite une régulation à la fois forte et protectrice. Cependant, cette directive échoue à établir une régulation uniforme, seule capable d’avoir un réel effet. 

Volt salue et encourage cette transformation de l'emploi et du travail. Il existe de nombreux avantages à une approche offrant à chacun une autonomie et une flexibilité quant à son organisation personnelle et ses heures de travail. La coopération transnationale, l'équilibre vie professionnelle-vie privée et le sentiment de satisfaction et d'autonomie sont autant d'avantages uniques à la gig economy. Cependant, les travailleurs à la tâche manquent aujourd’hui de protection sociale, celle-ci étant traditionnellement fondée sur le contrat de travail et sur les conventions collectives liant le travailleur et l'employeur.

Une nécessaire législation

La première tâche de la directive était d'assurer la protection des travailleurs, notamment au travers de la présomption de salariat. Si la flexibilité du travail est une avancée, celle proposée par de nombreuses plateformes, à commencer par les plus grandes telles que Uber, n'est qu'illusoire. Les travailleurs prétendument indépendants sont tributaires des plateformes concernant les prix, leurs clients, leur temps de repos… Les travailleurs sont alors doublement précarisés, n’ayant ni les avantages promis de l’indépendance, ni ceux du salariat.

La directive prévoit qu’en cas de demande de requalification par un travailleur devant un tribunal prud'homal, celui-ci bénéficiera d'une présomption de salariat, obligeant la plateforme à démontrer que le travailleur est bien autonome. C'est un coup porté à la précarisation organisée par les plateformes : en renversant la charge de la preuve par rapport à la situation actuelle, la directive permet à chacun de faire reconnaître ses droits, sans devoir vaincre Goliath.

Nous saluons également la seconde avancée majeure du texte, le coup d'arrêt mis à la surveillance algorithmique généralisée des travailleurs. Jusque-là, les plateformes se servaient de données personnelles, de conversations privées, d’enregistrements audios effectués en arrière-plan afin de juger de l'aptitude du travailleur et prendre des décisions d’expulsion temporaire ou définitive et ce sans aucun contrôle humain.

Il est urgent d'empêcher la précarisation automatisée des travailleurs. Il ne peut y avoir d'indépendance en abandonnant la barrière entre vie professionnelle et vie privée. Désormais, non seulement un humain devra prendre les décisions de suspension, mais les motifs et les données traitées devront être accessibles au travailleur. C’est une évolution dans la bonne direction.

Une regrettable perte d'ambition

Si ces deux avancées sont notables et encourageantes, et si elles sont accompagnées d’un certain nombre d’autres mesures nécessaires, la directive est victime du manque de volonté de certains Etats, le texte ayant été renégocié par trois fois, chose pourtant rare.

Au cours de ces renégociations, l’ambition première de la directive, la volonté d’un droit européen harmonisé concernant la régulation des plateformes, a été perdue. En l'état, la directive laisse une large place à la transposition en droit national. Les parlements nationaux auront toute latitude pour légiférer sur les cas relevant du salariat déguisé, de décider quelles sont les limites de la transparence des données et quels cas obligent les plateformes à reconsidérer leurs relations vis-à-vis de leurs travailleurs. Volt regrette ce manque d'harmonisation décevant à maints égards.

D'abord, cette discordance continue de complexifier l'émergence d'entreprises européennes capables de rivaliser avec les acteurs américains ou britanniques, en créant des disparités entre des territoires pourtant similaires. Ces disparités demandent des ressources plus facilement accessibles aux entreprises déjà implantées.  

Ensuite, sans harmonisation, l'Union européenne rate l'objectif primordial de faciliter la mobilité européenne. La gig economy apporte une flexibilité et une mobilité unique, dont l'Europe pourrait tout particulièrement profiter, en permettant à chaque européen de travailler plus facilement au sein du pays qu’il souhaite.

Enfin, Volt regrette qu’une telle directive ne participe pas à la résorption des disparités économiques entre les territoires européens. En laissant différents parlements créer des droits sociaux différents, le Conseil européen ne contribue pas à élever les standards d’une manière équitable et équivalente partout en Europe.

La directive est donc une évolution positive qui va dans le sens des mesures proposées par Volt, permettant l'émergence de formes de travail plus flexibles, numériques et mobiles, tout en protégeant les travailleurs des décisions arbitraires. Pourtant, nous regrettons une occasion ratée d'embrasser pleinement cette transformation fondamentale de nos économies. Volt propose d'aller plus loin et d'intégrer pleinement les travailleurs des plateformes à nos systèmes de sécurité sociale et de dialogue social, et ce de manière harmonisée dans toute l’Europe. Il s'agit d'assurer à l'ensemble de nos travailleurs, souvent précarisés, un revenu minimum à toutes les étapes de leur vie, c’est une étape nécessaire pour accompagner la transformation de nos économies et l’émergence de l’économie de la demande.